Courir

Partie 1 :

   Nous sommes jeudi et c'est ma dernière heure de cours, français une des matières que j'aime le moins. Je suis assise à côté de Claire, une amie très discrète.

   Derrière nous, il y a Mathis et Kentin. Je cherche Léa du regard. Elle n'est pas dans ma classe mais je ne me suis pas encore débarrassée de cette manie. Elle me manque. C'est la première fois depuis huit ans que nous sommes séparées. Oubliant le professeur qui parle, je m'adonne à mon passe-temps favori : regarder Félix. Il est grand, blond, des yeux couleur noisette et toujours affublé d'un survêtement. A coté de lui, Manon me fait un clin d’œil, je crois qu'elle a compris ce que je fais.

 

   Soudain, tout le monde se tait. Il ne reste plus que la voix de Mathis qui lit. Je sens une migraine venir. j'ai du mal à respirer. Et Mathis continue de lire. Ces mots. Ces mots. Ils m’enferment. Je me retrouve prisonnière. Je tourne la tête à droite et à gauche, cherchant de l'air mais seuls ces mots franchissent les barreaux.

   La professeur m'appelle. Ses paroles transpercent le brouhaha créé par Mathis. Je dois partir. Je dois m'enfuir. Je dois rester libre. Je prend mon sac, ma veste et sors de la classe en ayant soin de claquer la porte.

 

 

Courir

 

 

Partie 2 :

   Je dévale les escaliers et franchis le hall. J'ai remarqué depuis plusieurs jours un endroit où le grillage est moins haut. On crie mon prénom, une voix masculine m'appelle mais je ne dois pas ralentir ou ils me rattraperont et... Je prends mon élan, saute pat dessus le grillage et atterrie de l'autre côté. Je suis sortie de l'enceinte du collège mais je ne dois pas m’arrêter. Je continue ma course, peu de gens marchent dehors. Ils s'écartent sur mon passage sauf quelques uns que je bouscule en bafouillant une excuse. Je sens mes pas marteler le trottoir, ma respiration est le seul bruit que je perçois. J'ai peur. Peur qu'il me rattrapent.

   Ce "ils" que je ne connais pas, enfin, que je ne suis pas sensée connaître. Depuis deux mois, une vois parle dans ma tête. Elle me parle de ce "ils". Ils l'ont séquestrée et torturée pour qu'elle révèle où se cachent les armées de son père. Je crois qu'elle est morte et qu'elle me hante. Ma peur est la sienne. Ma course est sa course. C'est elle qui a le contrôle. Je continue de courir, sans un regard en arrière.

 

   S'ils m'attrapent je sais que je succomberai à leurs tortures. Mon père... Mon père mourrait... Papa?! Papa! Où-es-tu? Papa! Donne moi la force de courir, de leur échapper. Je ne dois pas m’arrêter ou ils vont nous tuer, comme maman.

 

   Je sens des larmes couler sur mon visage. Mais cette tristesse, cette douleur ne m'appartient pas. C'est la sienne. Je ne reconnais pas les rues, mon sens de l'orientation étant quasi-nul.

 

   Tout droit? Ou bien des zigzags? Cela les sèmeraient... Jamais ils ne me rattraperont. Partir loin d’eux. Courir! Survivre! Retrouver mon père!

 

   J'ai perdu toute notion du temps. Une heure, une seconde, une minute? Depuis combien de temps es-ce que je cours? Quelle est cette menace qui me poursuit? et d'ailleurs, existe-t-elle vraiment? J'aimerais marcher, regarder en arrière ou m'asseoir mais c'est mon "invitée" qui a le contrôle. Je suis épuisée.

 

 

Courir

 

 

Partie 3 :

   Je l'entends se plaindre. Pour la première fois, une voix a parlé dans ma tête, elle me demande de m’arrêter. Mais je ne peux pas. Si je me stoppe, ils me rattraperont. La voix est faible, épuisée, suppliante, je décide alors de marcher tout en conservant un rythme rapide.

 

   J'ai arrêté ma course. Je jette un coup d’œil derrière mon dos, personne. J'ai fui alors qu'il n'y a aucune menace! La fatigue et le désespoir m'envahissent d'un seul coup. Ils me frappent de plein fouet. je n'en peux plus. Je vais mourir, et loin de chez moi qui plus est. CELA SUFFIT! Mon cri intérieur, cet appel au secours a du sonner mon invitée car elle me laisse le contrôle. Je m’arrête et aperçois une petite ruelle.

   J'y traîne les pieds et m'assois, vidée, près d'une poubelle. J'appuie ma tête contre le mur et ferme les yeux. Qu'est-ce que j'ai fait? Il a suffit de ce texte pour réveiller un fantôme qui me hante et tout quitter. Je me retrouve loin de chez moi, dans le froid. Mon ventre crie famine. Je retrouve vingt euros dans mon sac et me dirige vers une supérette ouverte non-stop. J'y achète un sandwich à trois cinquante et une bouteille d'eau puis retourne m'asseoir à même le sol dans la ruelle.

 

   Je songe à mes parents. Ils doivent être en train de remuer ciel et terre pour me retrouver. Sûrement ont-ils déjà alertés la police. Mes grandes sœurs ont peut-être peur pour moi. Les larmes coulent abondamment sur mes joues, ma famille me manque, je n'aurais jamais dû partir.

   Léa aussi me manque. Mais, sans doute n'a-t-elle pas remarquer mon absence. Depuis plusieurs jours, notre relation s'est détériorée. Nous n'avons plus les mêmes horaires, nous ne restons plus ensemble. Elle passe beaucoup de temps avec Vincent, son petit-ami. Tellement de temps que j'ai parfois l'impression d’être a cinquième roue du carrosse, de ne plus exister. Notre complicité me manque.

   Je pense également à Claire. Nous avons sympathisé en début d'année. Elle était nouvelle et moi perdue loin de Léa. Notre solitude nous a rapprochées. Elle est assez timide, discrète, intelligente et je n'arrive jamais à savoir ce qu'elle a derrière la tête.

 

   Évoquer mes amies me fait penser à mes devoirs. Il faut absolument que je les fasse si je ne veux pas avoir d'observations. J'ouvre mon agenda, je n'ai que trois exercices de mathématiques pour le lendemain. Je sors mon cahier et mon livre, qui était heureusement dans mon sac.

   Soudain, je m’arrête et souris. J'ai fugué, je suis loin de chez moi et ma seule préoccupation est de faire mes devoirs. Je songe à ma chambre. Si je n'étais pas partie, j'aurais travailler sur le bureau, aurais bu une tasse de chocolat chaud puis serais allée regarder la télévision. Après une heure, passée de Doctor Who, papa aurait appelé "A table!". Au repas, comme tous les jeudis, il y aurait eu du soufflé au fromage.

   Un coup de vent me ramène à la réalité.

   Je vois le soufflé retomber et regarde autour de moi. Je suis seule, dans une ruelle, loin de mon foyer.

   Je fais quand même mes devoirs, pour me changer les idées.

 

 

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Partie 4:

 

   Je suis épuisée. Je m'allonge et décide de dormir, mon sac me sert de coussin et mon manteau de couverture. J'ai froid. Le sol est très inconfortable. Je frissonne. La fatigue l'emporte finalement et je sombre dans les bras de Morphée.

 

   Le lendemain, je me réveille fourbue de courbature. Ma nuit a été courte et remplie de cauchemars. Mon invitée de la veille n'est pas encore revenue, et c'est tant mieux. 

   Je me coiffe du mieux que je peux et arrange mes vêtements. J'achète un pain au chocolat à la boulangerie et entame la discussion avec la caissière. J'apprends ainsi qu'il est huit heure et demi et que je me trouve à Tanir, une ville à vingt-quatre kilomètres de Aniba.

  Je me rend à la gare et demande à l'accueil quel trajet je dois faire pour me rendre à Aniba. Par chance, une navette part dans un quart  d'heure. J'achète mon ticket, attend le bus et monte à l'intérieur. 

  

  Je passe la majeur partie du trajet à penser à penser à Félix. Est-ce qu'il s'est inquiété pour moi? La réponse est évidemment non, surtout qu'il a déjà une petite amie. Du moins, c'est ce que j'en déduis lorsque je le vois sans cesse rester avec Marine. 

  Je soupire et observe les passagers. Il y a un couple d'une trentaine d'années en train de se disputer, une étudiante en train d'écouter de la musique, derrière moi trois jeunes filles ne cessent de ricaner, et près du chauffeur un homme très âgé lit un livre. 

 

   Je descend au premier arrêt, après avoir saluer le chauffeur d'un "merci". Durant la douzaine de minutes qui me sépare du collège, je ne peux m'empêcher d'appréhender mon retour. Ce seront-ils inquiétés? Vont-ils me crier dessus? Peut-être que ma professeur de français me collera. Des dizaines de questions se bousculent dans ma tête.

   J'arrive devant les grilles bien trop tôt à mon goût. Je sonne à la loge, et grvait les escaliers jusqu'au cinquième étage. Il est dix heure dix-huit et j'ai cours de mathématiques en salles cinq cent huit. Je toque à la porte, souffle un bon coup et entre.

 

 

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Partie 5:

 

   Il y a un grand silence, même l’ordinateur a cessé de ronronner. Toute la classe me regarde. Je bredouille une excuse, la professeur me demande d'aller m'asseoir et de rester à la fin de l'heure. Je m’exécute aussitôt, ravie de pouvoir échapper aux regards des élèves. Je remarque néanmoins l'absence de Félix et le sourire de... soulagement? de Claire.

   Une fois le cours terminé, Claire se dirige vers moi et m'étreint si fort que je ne peux plus bouger. Elle qui a toujours été timide devient extravertie et me presse de questions. Elle sautille dans tous les sens, me câline et me gronde. Je suis obligé de l’arrêter ne comprenant rien à son brouhaha.

   Je me dirige vers notre professeur. Cette dernière m'avertit qu'elle va devoir prévenir la police, mes parents et l’administration de mon retour. Elle me demande si je vais bien ce à quoi je réponds par l'affirmative. Elle me prévient également que la principale et l'assistante sociale vont sûrement me convoquer. Puis, elle me laisse profiter de ma récréation avec Claire qui ne cesse de sautiller à côté de moi.

 

   A peine ai-je fait un pas dans la cours que je sens un poids me sauter sur le dos, n'étant pas préparé à une telle attaque, je tombe et me prépare à réprimander sévèrement mon agresseur quand je me rends compte qu'il s'agit de Léa. Elle m'aide à me relever et je la serre dans mes bras. C'est alors qu'elle entame un dynamique monologue:

   "Où étais-tu pas passée? Ça va pas la tête de partir comme ça? Tu croyais pouvoir aller où sans même me dire au revoir? Tu te rends compte à quel point j'ai eu peur? J'ai pas dormi de la nuit! J'ai pas arrêté de te chercher! J'étais terrifiée! Je croyais que tu étais morte! Je t'ai laissée dix messages au moins sur ton répondeur! Pourquoi tu n'as pas répondu? Pas même un petit SMS. Pourquoi tu es partie? Oh El', tu m'as manqué!"

 

   Une larme coule sur la joue de mon amie, Je l'essuie et serre une nouvelle fois Léa dans mes bras, Claire se joint à notre étreinte. La sonnerie met fin à nos brèves retrouvailles.

 

 

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Partie 6:

 

   Deux heures plus tard, je suis assise à la cantine, entre Léa et Claire. Kentin et Vincent sont là aussi, assis en face de nous. Je leur raconte tout: la voix dans ma tête, le texte, le froid, la fatigue, tout. Puis, c'est à leur tour de me raconter ce qui s'est passé, c'est Claire qui commence:

   "Pendant que Mathis lisait, tu es devenue pâle et respirait difficilement. La prof t'a demandé si tout allait bien, et là, tu es parti en claquant la porte. Tout c'est passé tellement vite, tout le monde était sous le choc. C'est Félix qui a régi le premier, il s'est élancé à ta suite en criant ton no. Il est revenu cinq minutes après en nous apprenant que tu étais sortie de l'enceinte du collège. Il avait l'air très inquiet. Madame Peyroua nous a demandé de rester calme. la fin de l'heure a été horrible. La sonnerie a été une libération."

   C'est à Léa de continuer l'histoire:

   "Quand je suis sortie, je t'ai attendue devant les grilles comme d'hab'.Pourtant, un poids me compressait la poitrine et je sentais que quelque chose clochait. C'est quand j'ai vu Claire totalement paniquée que j'ai commencé à flipper. Quand elle m'a dit que tu avais fugué, je lui ai ris au nez. C'était insensé, jamais tu n'aurai fait une chose pareil! Mais, ne te voyant pas arriver, j'ai compris qu'elle avait raison... Nous avons été voir la principale qui avait été averti par votre prof de français et avait alerté la police. malheureusement, ils ne pouvaient rien faire. Ma mère nous a emmené chez toi pour voir si tu y étais rentrée. Personne n'avait remarqué ton absence, tes parents m'ont fichu à la porte ne comprenant pas qui j’étais alors que je suis souvent venue chez toi. Je suis sortie, quand ta sœur m'a arrêtée et m'a demandé si tu avais vraiment fugué. Elle aussi elle ne comprenait pas pourquoi tu as fais ça. Nous avons sillonné la ville et ses alentours jusqu'à minuit. A la fin, nous étions désespérées. Je n'ai pas fermé l’œil de ma courte nuit et en allant au collège ce matin, je ressemblai à un zombie."

   Je ne comprend pas. Ma famille n'a pas cherché à me chercher? Elle n'a pas remarqué mon absence?

   "Mais, pourquoi ils n'ont rien fait? je demande les larmes aux yeux. Ma mère? Mon père? Qu'est-ce qu'ils faisaient?

-Je suis désolé. dit tristement Léa."

   Ces trois mots suffisent à faire déborder les larmes, je m'effondre en pleurs. Ils ne m'ont pas cherchée. Ils ne ses sont pas inquiétés. ils ne m'ont pas cherchée. Ils n'ont rien remarquer. Ils ne ses sont pas aperçus de mon absence. Ils n'ont rien fait. Mes maies me laissent pleurer, ils ont compris qu'il faut qu'elles sortent. Nous déposons nos plateaux et sortons de la cantine.

   Kentin et Vincent miment une scène de combat, pendant que Claire et Léa me racontent des blagues, afin que je retrouve le sourire. Ils sont tellement gentils avec moi... Je me rend compte que j'ai des amis formidables que je ne voudrais échanger pour rien aux monde. 

   

 

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Partie 7:

 

   La journée se termine tranquillement. Je suis convoquée chez la proviseure. Je lui explique les raisons de ma fugue, en espérant qu'elle ne m'envoie pas dans un hôpital psychiatrique parce que j'entendais une voix (d'ailleurs, cela fait longtemps qu'elle ne s'es pas manifesté... et c'est tant mieux!). Je me rends ensuite chez l'assistante à qui je raconte aussi ma fugue.

   Je rentre chez moi à cinq heures. Léa avait raison, personne ne semble avoir remarquer mon absence de la veille. Seule Célia me montre que je lui ai manqué et fais peur.

 

   Ma fugue m'aurait au moins permis de me montrer que je m'étais complètement trompé sur les personnes qui m'entourent. Moi qui pensais que mes amis ne s’inquiéteraient pas de mon absence et que ce serait ma famille qui ferait une nuit blanche... C'est le parfait contraire.

 

   Ma nuit est entrecoupée de cauchemars. Je me retrouve seule, dans le noir. Je dois choisir une porte à l'aide de ma famille mais cette dernière fait exprès de m'indiquer la mauvaise.

 

   Le lendemain, à peine suis-je arrivée devant le collège que je me sens soulever. C'est Félix. Ses bras sont chauds et terriblement confortables. Je m'y abandonne, et durant une fraction de seconde, j'ai l'impression qu'il n'y a que lui et et moi sur Terre. Sa voix me ramène à la réalité:

   "Tu m'as fait très peur tu sais, me dit-il. Ne me refais plus jamais ça."

      Et c'est sur une promesse que nous pénétrons dans le bâtiment, main dans la main.

Courir

Rédigé par El'

Publié dans #Récit publié en plusieurs fois

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