L'écharpe Rouge

   Dans un monde sans couleur, en l'an 2221, une jeune fille rentra chez elle après une longue journée de cours.

   En ouvrant la porte, sa mère s'écria « Surprise! » et lui souhaita un joyeux anniversaire. Les amis d'Eléonaure étaient réunis dans le salon. Il y avait Julie, sa meilleure amie, Martin et John.

   La jeune fille était au comble du bonheur. La soirée se déroula à merveille. A deux heures du matin, ses amis s'en allèrent, il ne resta plus qu'Eléonaure et sa mère.

   Cette dernière se leva et lui demanda de la suivre. Elle se dirigea vers sa chambre et inséra un CD dans l'ordinateur. Soudain Eléonaure vit une femme apparaître sur l'écran, et dire :

«Bonjour, et joyeux anniversaire. Félicitations, dix-huit ans c'est l'âge de raison. C'est pourquoi le président mondial a décidé de vous mettre au secret.

« C'était en 2087, en ce temps-là, le monde n'était pas en noir et blanc mais il était coloré. Les pays à l'ouest de la méridienne de Greenwich déclarèrent la guerre à ceux de l'est. L’Angleterre fut le seul pays neutre. Et c'est ainsi que débuta la Troisième guerre mondiale. Elle nous sembla sans fin et fit quatre-vingts millions de morts en l'espace de dix ans. La Chine a envoyé une bombe sur le Brésil le 10 mars 2097. Ce gigantesque obus tua tous les gens qui se trouvaient-là, à un rayon de dix kilomètres. Mais elle détruisit aussi les couleurs. Cela mit fin à la guerre. Notre monde était anéanti, nous décidâmes d'élire un président mondial et de dissoudre la Chine. Seuls quelques objets conservèrent leurs couleurs. Chaque aîné de la famille en recevra un à l'âge de dix-huit ans puis il le remettra à l’aîné de ses enfants et ainsi de suite. Surtout, ne dites rien de tout cela au moins de dix-huit ans. »

   La mère d'Eléonaure l'invita à la suivre dans sa chambre, là, elle ouvrit le dernier tiroir de sa commode et en sortit un splendide foulard. « Il est rouge » a dit sa mère. Cette couleur est fascinante. Elle semble chaude, on dirait qu'elle est éclairée. Ce « rouge » est flamboyant, violent, fort. Eléonaure n'arriva pas à détacher son regard de cette couleur si intense, si fabuleuse. Elle essaya le foulard et s’endormit en le portant autour de son cou

   Le lendemain, Eléonaure prit le bus vers la plage réservée au plus de dix-huit ans, son foulard bien plié au fond de son sac. L'endroit était presque désert. Deux garçons discutaient au bar. L'un d'eux avait une bague d'une couleur acidulée qui était, elle l'apprit plus tard, du vert à l’annuaire. L'adolescente mit son foulard et se promena au bord de l'eau. Soudain, un violent coup de vent arracha son fichu. Eléonaure se mit à lui courir après essayant de l'attraper. Un jeune homme le saisit et lui rendit. A son poignet gauche, Eléonaure remarqua un fin ruban d'une couleur claire, transparente, apaisante et profonde, ce n'est que plus tard, qu'elle apprendrait que c'était du « bleu ». Lorsqu'il lui tendit son foulard, le cœur d'Eléonaure battit plus fort. Elle remit son fichu puis entama la discussion. Le garçon se nommait Félix. Ils se découvrirent beaucoup de points communs. Ils allèrent ensuite manger un sandwich au snack. Puis ils échangèrent leur numéro de téléphone. Sur le chemin du retour, Eléonaure sautillait de joie et ne cessait de penser à sa conversation avec le charmant jeune homme et à son ruban bleu.

   Le lendemain, elle retrouva ses amis devant la grille du lycée et leur fait part sa rencontre avec Félix. Julie l’emmena à l'écart.

«Tu comptes l'appeler ?

- C'est déjà fait, on s'est parlé par textos hier soir.

-Mais tu m'as dit que tu n'avais plus de batterie.

- Je devais lui parler, il est si craquant.

- Toi, tu es amoureuse.

- N'importe quoi.

- Tu devrais nous le présenter.

- Pourquoi n'irions-nous pas à Lance's plage ?

- Impossible, John n'a que dix-sept ans.

- Ah oui, c'est vrai... Et bien, au café de Cynthia ? Demain soir vers dix-sept heures ?

- J'espère qu'il acceptera. »

   Le soir, Félix s'empressa d'accepter l'invitation ayant hâte de revoir l'adolescente. Il lui demanda de lui envoyer une photo de son foulard. Eléonaure le photographia à l'aide de son téléphone. Lorsqu'elle regarda le cliché, il était noir et blanc, le fichu avait perdu son rouge éclatant et ne ressemblait qu'à un chiffon d'un gris terne. Elle s’empressa de questionner sa mère sur la disparition de la couleur de son foulard uniquement sur la photographie. N'ayant pas de réponse, sa génitrice lui conseilla de se rendre à la conférence des couleurs qui se tiendrait dans trois semaines à la salle cinématique du musée

   Le lendemain, Eléonaure retrouva ses amis et Félix au café de Cynthia. Seul John était absent, traînant sans doute avec ses copains du skate parc. Le courant passa rapidement, et Félix s'intégra facilement à la bande. Ils bavardèrent tous ensemble durant deux heures, puis se quittèrent. Le jeune homme raccompagna son amie devant chez elle. Il y eut un court instant de silence, ni l'un ni l’autre ne voulaient se quitter. C'est Eléonaure qui le rompit en souhaitant une bonne nuit à son compagnon, puis, elle se mit sur la pointe des pieds et lui fit la bise avant de rentrer chez elle.

   Trois semaines plus tard, Eléonaure se rendit à la conférence, son foulard lui servant de laisser passer. Elle y apprit que les couleurs étaient en réalité des extraterrestres. Ce mot suffit à la faire frissonner. Les Exacolors étaient pacifistes et habitaient la Terre depuis sa création. Ils se nourrissaient u noir et du blanc qu'ils remplaçaient par leurs déchets, les couleurs. Lorsque la bombe s'est abattue sur le Brésil ils se sont crus attaqués et sont partis. Seuls quelques-uns sont restés. Eléonaure apprit également pourquoi les photos n'étaient pas colorées, le docteur Pranti lui expliqua que l'Exacolor chargé de cette fonction était un des premiers à être partis.

   La conférence dura trois heures. La nuit était tombée lorsque l'adolescente sortit. Plus aucun bus ne circulait aussi se mit elle à marcher. Une moto s’arrêta à sa hauteur. Félix enleva son casque et lui proposa de la ramener. Elle accepta, aux anges. Elle monta et enroula ses bras autour du torse de son chauffeur. Ce dernier faisait de brusques accélérations. Sa passagère était morte de peur mais en profitait pour se coller contre Félix. Arrivé devant chez elle, il y eut encore un de leurs nombreux silences. Félix se pencha vers elle. Elle leva la tête. Leurs lèvres se rapprochèrent et ils échangèrent leur premier baiser, devant l'immeuble d'Eléonaure. En rentrant chez elle, elle avait encore la saveur des lèvres sucrés de son nouveau petit ami et des centaines de papillons qui voletaient dans son ventre.

   Cinq mois ont passé, durant lesquels Eléonaure et Félix filent le parfait amour.

   Un soir, alors qu'Eléonaure sort du lycée, elle aperçoit son petit-ami en train de s’esclaffer avec une fille de sa classe. Soudain, il l'embrasse. Le cœur d'Eléonaure se brise sur le sol. Espérant avoir mal vu, elle continue de les espionner en cachette. Mais Félix passe les bras autour de sa nouvelle conquête et continue de l'embrasser. Il envoie ensuite un texto, puis ils se dirigent vers le bois.

   Le téléphone d'Eléonaure vibre, c'est un message de son « petit cœur ».

« Je viens se me faire coller par le prof de maths, c'est raté pour le ciné ce soir.

Désolé. Je t'aime, bisous »

   Elle lui répond par un mot : « Abruti » puis jette son téléphone par terre.

   Elle court jusqu'à chez elle, les larmes lui brouillent la vue. Son cœur est éparpillé sur le sol à l'endroit où se tenait son ancien petit-ami. Elle arrive chez elle, en pleurs. La tristesse, la déception, la colère lui embrouillent les idées. Elle se rend à la salle de bain, prend son rasoir. Elle retourne ensuite dans sa chambre. Les images de Félix et sa copine ne cessent de tourner dans ta tête. Elle regarde son foulard. Il est toujours aussi rouge, comme le sang a-t-elle appris lors de la conférence. Elle empoigne le rasoir et le presse sur son poignet. Elle appuie fort, un filet de sang coule. Puis elle s'acharne et s'entaille la vaine avec toute la haine, toute la tristesse que l'acte de Félix a créée chez elle. Le sang coule abondamment à présent. Il est terne mais devient rouge petit à petit alors que le foulard se décolore.

   Lorsque la mère ouvre la porte, elle voit le corps de sa fille, morte, dans une mare de sang rouge, le rasoir dans une main et le foulard devenu gris dans l'autre.

Rédigé par Un hérisson

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